Quatre couples s’expriment sur leurs choix à la présidentielle. Qu’ils soient divergeants ou concordants, leur parti pris politique a insufflé dynamisme et discussions au sein du ménage. Témoignages.
Dimanche 15 septembre. 9h30 du matin à l’école primaire Bilel. Dans ce centre de vote d’El Menzh 6, l’affluence semble plutôt moyenne, comparée aux deux anciens scrutins présidentiels de 2011 et 2014. Beaucoup de personnes âgées s’empressent dans les rangs des électeurs. Des familles entières arrivent accompagnées de grands-parents. Des jeunes habillés du drapeau tunisien surgissent ici et là. Les couleurs de la Tunisie parent les tee-shirts de plusieurs hommes et femmes.
De différentes tranches d’âge, les électeurs viennent également en couples. Qu’ils aient voté pour le même candidat ou pour deux concurrents différents, les élections pour la magistrature suprême semblent avoir insufflé dynamisme et discussions au sein du couple. Malgré leurs divergences politiques, les couples que nous avons rencontrés font passer l’harmonie conjugale avant toute chose. D’autre part, scrutin après scrutin, les Tunisiens semblent avoir intégré la valeur de la démocratie dans la famille en faisant de cette cellule la première à accepter que cohabitent toutes les différences politiques possibles et imaginables.
« J’ai tout fait pour l’influencer ! »
Manal et Fethi ont chacun un peu moins de quarante ans. Elle a choisi Mohamed Abbou et lui AbdelkerimZbidi.
« J’ai voulu voter en mon âme et conscience pour celui en qui je crois le plus. C’est vrai que mon élu n’est pas favori des sondages, mais je crois aux miracles en Tunisie ! », affirme Manal.
A-t-elle essayé de convaincre son époux de voter pareil à elle ?
« J’ai tout fait pour ça ! », éclate-t-elle de rire.
Fethi argumente son choix : « Zbidi est un homme d’Etat, il maîtrise ses rouages. Nous avons besoin d’une telle stature pour la stabilité du pays ».
Sa femme intervient : « Il est surtout Sahélien comme toi ! ».
Fethi : « En effet. Après la Révolution, les Sahéliens ont été écartés du pouvoir, dénigrés et insultés. Je ne renie pas que le régionalisme a joué dans mon vote ».
A la maison, les discussions au sein du couple sont allées bon train ces derniers jours. Sans agressivité, affirment-ils, chacun respectant l’avis de l’autre.
Fatma Moallaa, 69 ans, et son mari, Ridha Kammoun, 78 ans. Ils sont tous deux médecins, mais n’ont pas voté pour la même personne. Elle a choisi Zbidi, avec qui elle a fait une partie de ses études à la Fac de médecine : « Un étudiant brillant, sérieux et très poli », décrit-elle. Et lui a voté pour Abir Moussi dont les idées le séduisent à 90%.
Trente ans après la fin de leurs études, Fatma Moalla retrouve Zbidi au cours d’un colloque : « Il n’avait point changé gardant intactes son intégrité et son honnêteté intellectuelle.
Des atouts tellement rares. Voilà pourquoi j’ai opté pour lui ».
Ridha Kammoun, lui, profondément bourguibiste, veut, dit-il, « libérer la Tunisie du fascisme religieux. Il s’agit d’une occupation régionale du pays ». Il fait confiance à Abir Moussi pour traiter radicalement la problématique des islamistes. Or, sa femme trouve cette candidate agressive, parlant sur un ton monocorde, elle ne lui inspire point confiance. Son mari sourit à ses propos…
Leurs deux cœurs pour un seul candidat
Un peu plus loin, nous rencontrons Lamia et Mohamed, respectivement 40 et 48 ans. Leur choix à tous les deux a penché vers Zbidi. Lui sans trop réfléchir, convaincu par son efficacité sur le terrain et son expérience. Elle plus sceptique : « Sa complicité avec l’actuel gouvernement que je juge négativement m’a fait beaucoup réfléchir. En fin de compte, j’ai raisonné autrement : je ne veux surtout pas perdre ma voix dans un vote du cœur. Car je pense à l’enjeu majeur du deuxième tour », argumente Lamia.
Salma, 36 ans, et Mounir, 38 ans, parlent d’une même voix : « Nous avons opté pour la jeunesse, pour Youssef Chahed », s’écrient-ils heureux.
« Nous avons voté pour la continuité des idées et des projets, afin de donner la chance à Youssef Chahed de poursuivre son travail au gouvernement entamé il y a trois ans. Pour nous, l’homme a osé nommer un juif à la tête du ministère du Tourisme et s’attaquer au problème de la corruption. Il jouit de la confiance de plusieurs réseaux d’influence, dont les gens de Nida et les anciens rcédeistes ».
Pour la plupart de ces couples, un autre parti pris s’annonce déjà, celui des législatives. Avec son cortège de joutes et de discussions familiales.